Jeudi 31 août 2017

DSCF4315Nous avons passé une partie de la journée à La Luciernaga qui signifie La Luciole, comme « une lumière propre à chacun et en capacité d’illuminer sa propre vie : en illuminant le passé, en dénonçant le présent, en défiant le futur ».
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Nous avons été accueilli par Hector, psycho-sociologue, qui nous a expliqué l’histoire de la création de cet espace communautaire comme lieu d’insertion pour des jeunes des quartiers pauvres, « un espace où les jeunes peuvent se mettre debout, vivre debout en tant qu’acteurs du changement » (cf. présentation de la première mobilité – 12 avril 2017) ; beaucoup d‘entre eux viennent du Complexe éducatif Esperanza.

Il y a d’un coté la revue mensuelle La Luciernaga que les jeunes vendent dans les rues de Cordoba selon un territoire attribué. Lors de sa première vente, les 5 premières revues sont fournies au jeune sous forme de prêt et les suivantes sont achetées par celui-ci en fonction de sa capacité de vente. La revue est vendue 40 pésos, 21 reviennent au jeune et 19 à l’association (une fois les charges retirées, 9 pésos net/revue permet à l’association de s’autofinancer et de rester libre dans ses actions). Les articles de cette revue sont rédigés par le directeur/fondateur pour l’éditorial, les autres principalement réalisés par une avocate, un pédiatre, une journaliste ainsi que d’autres professionnels (à titre bénévole). Chaque jeune peut vendre jusqu’à 500 exemplaires par mois ce qui constitue une économie de subsistance (environ 10 000 ARS/mois) qu’il peut compléter par un autre travail.

DSCF4338En plus de la vente de cette revue, l’espace est un lieu d’accueil où il est possible aux jeunes de prendre un petit déjeuner et le repas de midi ; lieu de convivialité où peuvent revenir les anciens.

La Luciernaga est également un espace de premiers soins avec un cabinet dentaire, une pharmacie et une salle de premiers soins.

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Il existe également deux ateliers de formations professionnels en coiffure et boulangerie à l’issue desquelles les jeunes reçoivent un Certificat Officiel de la Province de Cordoba – formations accompagnées par des enseignants salariés par cette même Province. Il existe également une bibliothèque.

DSCF4330Les accompagnements des professionnels se centrent par ailleurs sur l’accès aux droits administratifs, sociaux, médicaux, traitement des addictions… en lien avec un réseau d’autres organismes.

L’objectif de La Luciernaga est de permettre aux jeunes de 16 à 21 ans (mais peuvent être plus jeunes si nécessaire) d’intégrer la notion de travailleur. En effet, le regard que porte la société sur ceux-ci fait que les moyens de production ne leur sont pas accessibles et que leur force de travail n’est pas reconnue. Les professionnels de La Luciernaga travaillent donc à être « une boite à changement » pour les jeunes mais également pour la population à qui ils vendent la revue. Cependant le but « n’est pas que ces jeunes restent vendeurs toute leur vie » : le temps de la vente ne devant durer qu’entre 2 et 4 ans mais dans les faits, les réalités ne sont pas aussi simples !

Mais laissons la parole à Diégo, dit « Apaché » : « Je suis arrivé à 11 ans à La Luciernaga sous les conseils de mon oncle et dans le cadre d’un appui scolaire. Il y avait beaucoup de violence à la maison et j’avais des problèmes à l’école. J’ai commencé à me sentir bien puis j’ai pu avoir une petite bourse de la Luciernaga pour m’inscrire dans un groupe folklorique de danse parce que j’aimais ça. A 12 ans mes parents se sont séparés et je suis parti sur le mauvais chemin de la drogue de la délinquance. J’ai fait de la prison. La Luciernaga a toujours été là. Il y avait un contrat qui était ‘’ok tu peux vendre le journal mais tu dois suivre l’école et tu rentres en famille’’. J’ai suivi des programmes par rapport à l’alcool et la drogue et je suis allé vivre avec ma mère. J’aimais beaucoup vendre la revue je gagnais de l’argent et petit à petit, je suis sorti de mes soucis. J’ai beaucoup appris à communiquer ici, à pouvoir échanger avec les gens autrement que par la violence.

A 17 ans j’ai eu mon premier enfant comme un cadeau de Dieu et ça a apporté un grand changement dans ma vie. A partir de là, il fallait que je m’accroche par rapport à ma famille. J’ai participé à l’atelier coiffure pour développer un autre travail à coté. Si je pars un jour d’ici, je serai toujours très reconnaissant car cela m’a permis de sortir de la délinquance et de la drogue et de savoir être en relation et avoir des techniques de travail.

J’ai failli mourir, la police m’a presque tué, je pensais les autres mauvais. La plus belle chose que j’ai appris ici, c’est entrer en relation, apprendre à m’aimer pour aimer les autres. J’ai maintenant 21 ans et j’ai 3 enfants et je veux éviter à mes enfants ce qu’il m’est arrivé, m’occuper de leur scolarité, leur donner l’enfance que je n’ai pas eue. Mon projet c’était d’avoir ma propre maison et grâce à la Luciernaga, aujourd’hui, nous l’avons. Dans la revue, il y a eu un article quand je la construisais. Il me manquait le toit et un de mes clients nous l’a offert. Aujourd’hui, je travaille pour la peindre, la décorer. Depuis que je suis sorti de mes problèmes, j’ai eu beaucoup d’aides ici et de mes clients qui reconnaissent mes efforts, ils me donnent des choses. Maintenant, je suis heureux avec ma femme de 20 ans qui m’a aussi beaucoup aidé – nous avons eu faim et froid ensemble – et nos trois enfants.

Les autres jeunes de la Luciernaga sont mes frères, ici c’est une grande famille. Si je ne me sens pas bien, il y a toujours quelqu’un qui vient me voir pour me rassurer. J’accompagne les plus jeunes qui arrivent, qui ont souvent honte de faire ça. Moi je leur dis ‘’non, c’est un vrai travail’’. Je leur explique que des jours ils peuvent vendre peu de revue mais que d’autres fois, les gens donnent et qu’il faut tenir, persévérer. Ils ont honte parce que c’est un problème de contact, c’est la relation à l’autre qui est difficile au début. Il faut franchir le pas, proposer une revue sans agresser, dans un autre rapport que le vol car beaucoup consomment de la drogue encore. S’il y a des gens dans la rue qui me disent que je fais de la mendicité, maintenant je leur réponds que c’est un vrai travail et que je vis honnêtement.

Beaucoup de gens ici répètent ce qu’ils ont déjà fait. Moi si je pouvais me faire pardonner tout le mal que j’ai fait, je le ferai mais ce n’est pas possible. J’ai beaucoup appris tout seul, quand on tombe toujours sur la même pierre, tu te demandes pourquoi tu tombes toujours sur cette pierre et tu veux la dépasser. Ici, j’ai reçu de l’aide de la psychologue et de tous les professionnels pour dépasser tout cela. J’ai encore beaucoup d’amis qui sont dans la rue, je garde mes distances avec certains mais j’essaie aussi de les aider. Mais je ne peux pas aider quelqu’un qui ne le veut pas. Moi, je me suis laissé aider. Ce qui est important pour moi c’est que ma mère voit que ses fils sont heureux. »

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… Termine la journée avec le sentiment d’avoir grandi un peu plus et d’avoir renforcé tes rêves… Le peuple de La Luciernaga te serre dans ses bras

Dans l’après midi, nous sommes retournés à l’université de Cabred pour une rencontre avec le Juge José Gonzalez Del Solar. Ce dernier a été invité pour parler de l’origine de la carrière des socio-pédagogues.

En 1976, il prend une fonction judicaire en tant que Juge Pénal Juvénile (JPJ pendant 21 ans). Cela le conduit à une évidence, celle de former des travailleurs sociaux pour accompagner les enfants délinquants. C’est dans ce cadre qu’il a rencontré l’université afin de monter le cursus de socio-pédagogie. Un problème se posait alors pour lui : les juges voyaient la nécessité de former des professionnels mais pas les instances politiques pour qui les enfants transgresseurs étaient à enfermer. C’est ainsi que les établissements pour ces jeunes ont été de réels lieux d’enfermements (pas de rapport éduqué/éducateur) comme celui du Complexe Esperanza dans lequel depuis peu, les socio-pédagogues tentent d’être des éléments du changement. Des attentes fortes se situent également au niveau des lois concernant les mineurs transgresseurs même si certaines existent déjà et sont dans le registre éducatif, les sanctions devant être exceptionnelles.

Selon la loi argentine, un enfant de moins de 16 ans ne peut avoir de peine (il est dit « inimputable ») et à partir de 16 ans, il est considéré comme capable de discernement à agir (et donc, « imputable »). En 2005, la Cours Suprême de Justice décrète, suite à une jurisprudence, qu’un enfant commettant un délit a moins de responsabilité du fait de son statut de mineur. Les peines sont donc atténuées, réduites en fonction de l’intention, de la tentative de délit. Par exemple, pour un homicide simple commis par un adulte, la peine est entre 8 et 25 ans de prison. Pour un jeune de moins de 18 ans, la peine peut varier entre 5 ans et 4 mois jusqu’à 12 ans ½ d’enfermement. Concernant un mineur de moins de 16 ans, il n’y a normalement pas de peines prononcées mais uniquement des mesures éducatives ; le problème majeur étant que ces mesures n’apparaissent pas dans la loi et sont à l’entière discrétion du juge (ce qui pose la question importante des droits de l’enfant.

Pour conclure, Monsieur le Juge précise que le modèle judiciaire argentin s’inspire beaucoup de celui espagnol et non français qui lui, est plus orienté vers la prévention. Le problème du modèle en Argentine est que le JPJ s’occupe seulement de l’enfant transgresseur avec, comme finalité, de protéger, corriger et exceptionnellement punir. La protection de l’enfant maltraité, avec des conduites addictives… relèvent du gouvernement de chaque province. Lorsque le juge exerce à partir de ces deux pôles, il peut exiger de ce gouvernement des ressources pour s’occuper des enfants. Lorsque la prévention est gérée par le gouvernement, le juge perd cette possibilité et tout dépendra de la province dont il dépend.

Cette journée de travail se termine par l’intervention de notre collègue Anne devant une classe d’étudiants de la filière psycho-éducative sur « l’empowerment, participation et pouvoir d’agir ».

Puis visite d’un quartier fermé pour personnes riches, une vraie ville dans la ville entourée de grillages, caméras vidéo de surveillance, miradors, gardiens armés à l’entrée du parc…

Une fin de soirée très conviviale et chaleureuse chez Mariella autour d’un barbecue (asados), véritable institution en argentine hiver comme été, en compagnie de l’équipe qui nous accueille…

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Jeudi 24 aout 2017 

Visite del Campo de la Ribéra, « Espacio para la Memoria, Promocion y Defensa de los Derechos Humanos » : l’un des sites de détention où les prisonniers (étudiants, militants politiques, syndicalistes…) étaient torturés lors d’interrogatoires avant d’être « orientés » vers d’autres lieux soit d’extermination (comme La Perla) ou la prison ; la troisième solution étant la liberté sous contrôle et surveillance quotidienne maintenant un climat de peur et d’insécurité permanente. Ce site a été un centre clandestin un peu avant la dictature (1976-1983), les militaires ayant entamé ce processus dès le début des années 70 dans la clandestinité. Pour un complément d’informations historiques, se référer au compte rendu des collègues de la première mobilité, du 19 avril 2017.

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Cependant, notre périple du jour commence bien avant notre arrivée sur ce site. Pour se rendre sur ce lieu, en banlieue de Cordoba, nous avons traversé plusieurs quartiers, longé des barrios, des asentamientos (« terres prises »), espaces investis illégalement par les populations les plus démunies afin d’y construire un abri. Nous étant un peu égarés… deux policiers nous ont indiqué le chemin et l’un d’eux nous a escortés à moto ! Il se trouve que ces quartiers sont fortement investis par les dealers, d’où leur présence… le Campo de la Ribéra est à proximité du barrio. Nous y sommes accueillis par Martin Cartechini, ancien détenu du centre devenu directeur du site.

Nous entamons la visite en compagnie d’une promotion de jeunes filles se destinant à la carrière de professeur des écoles. Une guide nous explique les différents périodes et utilisation des bâtiments. Ce jour est d’autant plus important qu’il est l’objet d’une commémoration à l’occasion du premier anniversaire de la fin des procès envers les tortionnaires ayant participé aux activités de détention, torture, disparition des personnes en Province de Cordoba.

A cette occasion, nous avons la chance de participer à la cérémonie animée par un orchestre philharmonique d’enfants et de jeunes des barrios, accompagnés par leurs professeurs de musique (activité culturelle financée dans le cadre d’un plan national), jouant musiques classiques et traditionnelles.

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Une avocate ayant participé aux procès et une femme survivante du camp ont témoigné de l’importance du devoir de mémoire et du respect des droits humains. Les procès ont permis de reconnaitre la juste parole portée par les gens du quartier au moment des faits qui soulevaient que « quelque chose de mauvais se passait et qu’il fallait le condamner ». Mais aujourd’hui, selon les propos de l’avocate et de la survivante, le quartier vit une autre « sorte de terrorisme d’état économique ». C’est le procès du présent, l’Etat ne respectant toujours pas les droits des barrios, c’est pourquoi ces deux femmes poursuivent leurs luttes militantes.

Notre matinée s’est poursuivie avec la visite du lieu et qu’en dire… si ce n’est avec beaucoup d’émotions qu’il est difficile de traduire. Comment nommer l’innommable, l’inhumanité ?

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Après une pause repas bien sympathique et réconfortante dans un bel endroit, nous nous sommes rendus à la Casa Macuca. A l’entrée de l’asentamiento, nous avons été, cette fois-ci, suivis par une voiture de police (décidément !).

La Casa Macuca est un centre communautaire (association civile) accueillant les mères et leurs enfants, situé sur deux barrios dont les réalités sont différentes. Le barrio Chingolo a été bâti par les autorités provinciales afin de reloger les familles expulsées d’autres barrios (petits logements en dur avec eau, électricité, toilettes, ramassage d’ordures). Et le barrio Remedios de Escalada, là où nous sommes, situé le long d’une voie ferrée où 300 familles ont bâti de bric et de broc des habitats précaires, où la pauvreté est très importante et les conditions d’hygiène difficiles : pour exemple, l’eau arrive à la porte des maisons par le biais d’un tuyau depuis seulement deux ans grâce à la mobilisation des habitants et de la Casa Macuca.

Il y a neuf programmes en fonctionnement portés par l’association qui s’orientent vers :

  • le travail de parentalité mère/enfant (familles monoparentales pour la très grande majorité et essentiellement matriarcales) ainsi que sur les risques relationnels et nutritionnels (cela concerne les enfants de 0 à 6 ans)
  • l’accompagnement des femmes enceintes et du bébé jusqu’à 1 an
  • un projet culturel avec une école de musique et un orchestre avec les jeunes du quartier (qui ont joué lors de la cérémonie commémorative de ce matin), danse classique…
  • un programme orienté vers les enfants en situation de handicap
  • un micro projet pour apprendre, réaliser et vendre de l’artisanat
  • le soutien scolaire…

Au total, 30 professionnels interviennent sur les différents sites et programmes pour accompagner 350 enfants et environ 100 mères. Plus particulièrement sur le site visité, travaillent 4 professionnels (nutritionniste, orthophoniste, assistante sociale et psychopédagogue) ainsi que 2 étudiants. Nous sommes donc reçus par certains d’entre eux, et Tinti, la directrice et fondatrice de ce projet de centre communautaire.

Ils accompagnent 30 enfants et 12 mères dans le cadre du programme d’accueil mère/enfant. La plupart des enfants sont à l’école le matin et viennent l’après midi avec leurs mères (lorsque cela est possible pour elles). Ces dernières font des ateliers manuels (artisanat) pendant que les enfants sont au jardin d’enfants ou dans un suivi plus individuel avec l’un des professionnels en fonction des besoins. Puis un gouter est pris ensemble suivi de temps de travail avec les mères et leur(s) enfant(s).

La directrice insiste particulièrement sur l’objet principal des interventions réalisées qui se centre sur  « l’empoderamiento » des mères : le lien mère/enfant est travaillé en filigrane à partir des capacités des mères à produire un réel changement au sein de leur foyer. Le travail d’accompagnement est de longue haleine dans la mesure où il faut pouvoir, dans un premier temps, créer un lien de confiance avec ces familles très marginalisées qui ont du mal à sortir de chez elles (les enfants vont 1 fois sur 5 à l’école ; un travail de médiation est fait avec les instituteurs). Les temps d’atelier sont des supports relationnels importants qui conduisent peu à peu les mères à faire des demandes d’accompagnement plus précises (administratives, médicales…). Les actions sont pensées et réalisées à partir de la réalité de ce qu’elles vivent au quotidien et de leurs besoins singuliers.

Ce programme a été financé par la province de Cordoba jusqu’à l’année dernière. Depuis le lieu survit par : des dons privés (ce qui nécessite temps et mobilisation importants et qui sont difficiles à trouver et à pérenniser), des ventes d’objets réalisés lors des ateliers également.

L’accueil qui nous a été offert, les échanges précieux accompagnent la valeur principale portée par Tinti qui est le « respect pour son peuple ».

Doc presentation Casa Macuca

La journée se termine par un concert du groupe Philharmonie Pop Sinfonico à la Ciudad de las Artes de l’université Provinciale de Cordoba : https://youtu.be/P4kc5_fKKU4

Liens :

ORQUESTA SINFÓNICA MACUCA : https://youtu.be/74sn4ZpzqDI
VIDEO INSTITUCIONAL MACUCA 2016 : https://youtu.be/Pty-ehgt614
Casa Macuca- Logros 2013 : https://youtu.be/v03gjt5XXqQ